Donnez et acceptez les fleurs
Texte de Travis Weller
La traversée du Daisetsuzan au Japon est un sentier d'environ 70 km qui traverse le parc national du même nom, situé au coeur de l'île d'Hokkaido. Il faut en moyenne 5 à 8 jours de marche pour effectuer cette éprouvante randonnée qui relie une douzaine de sommets vertigineux. La météo y est réputée imprévisible, et bon nombre de personnes ayant parcouru le Daisetsuzan ont témoigné avoir été obligées de s'abriter plusieurs jous d'affilée afin de se protéger des tempêtes, violentes et nombreuses durant la saison de randonnée, de la mi-juillet à fin septembre.
Notre équipe : Drew Smith, Hakim Tafari, Nash Mader et moi-même. Notre plan : courir pour faire la traversée en deux jours, début juin, avec une nuit dans un refuge de l'arrière-pays à peu près à mi-parcours. Ambitieux ? Oui. Impossible ? Non ; d'ailleurs, ce voyage a été inspiré par une forme plus contemporaine de Misogi, la pratique de la transformation en tentant un défi qui vous oblige à affronter vos peurs, vos doutes et vos faiblesses.
Mais notre plan a commencé à s'effondrer après notre long trajet en voiture de Sapporo jusqu'au parc national de Daisetsuzan. Lorsque nous sommes arrivés à l'extrémité nord, Nash était à peine capable de se lever en raison d'un spasme dorsal soudain qui l'a cloué au lit pendant près de 24 heures. Il était hors de question de retourner à l'extrémité sud dans l'obscurité pour trouver un endroit où camper et commencer l'aventure après quelques heures de sommeil seulement. Plan A avorté. Nous nous sommes regroupés dans une auberge locale et avons décidé de partir de bonne heure en empruntant la route nord-sud plutôt que la route sud-nord, plus courante.
Le jour se lève tôt à Hokkaido et les premières lueurs apparaissent à 3 heures du matin. Drew, Hakim et moi-même entamons la longue et raide randonnée vers l'Asahi-Dake, le plus haut sommet d'Hokkaido, après une rapide tournée de boissons chaudes et une dernière préparation de l'équipement. Nous avons rencontré de bonnes couches de neige 10 minutes à peine après le départ : il était alors évident que nous allions évoluer dans la neige du début à la fin.
Au fur et à mesure de notre ascension à travers les forêts de bouleaux et de frênes enfouis sous leur blanc manteau, le terrain s'est ouvert sur de vastes champs de neige s'étendant vers l'étang de Sugatami, gelé 365 jours par an. Plus nous progressions, plus le relief devenait escarpé et lorsque nous sommes arrivés à mi-chemin du sommet du stratovolcan actif, nous avons décidé de réévaluer à nouveau nos objectifs au petit refuge en pierre.
La décision a dû être prise de ne pas tenter une traversée complète. Nous voyagions très légèrement et nous risquions de passer la nuit dans des conditions météorologiques extrêmes au sommet de lignes de crête pas du tout protégées. Le plan B a été abandonné. Le nouveau plan consistait à atteindre le sommet de l'Asahi-Dake, puis à continuer vers le sud jusqu'à un refuge de l'arrière-pays, en retraçant notre itinéraire le lendemain. Mais l'Asahi-Dake avait d'autres idées.
Les conditions météorologiques légendaires du volcan ont commencé à se manifester dès nous avons entamé son approche finale depuis le refuge de pierre. Notre rythme est devenu presqu'aussi lent que si nous rampions, littéralement. Le vent s'est transformé d'une brise régulière à un véritable hurlement de rage. Nos doigts ont commencé à imiter les rochers gelés éparpillés autour de nous.
Nos champs de vision sont passés de vastes à quasiment nuls au fur et à mesure que nous nous élevions dans la furie de la montagne. À un moment donné, Hakim et moi nous sommes regardés dans les yeux et, sans mots, j'ai su que le sommet serait notre point final, si jamais nous arrivions jusque là. Les yeux toujours liés, il m'a fait un signe de tête, une sorte de mini-salut, suggérant qu'il était prêt à continuer. Il était plongé dans son Misogi personnel et je me suis senti honoré d'en être le témoin.
Nous avons lentement continué à monter vers le ciel tandis que la montagne essayait de nous faire tomber de son flan au plus profond de ses cheminées de vapeur volcanique situées à quelques milliers de mètres en contrebas. Un dernier virage et une courte escalade de la ligne de crête nous ont enfin conduits au sommet de l'Asahi-Dake. Au point culminant de toute l'île d'Hokkaido, nous nous sommes étreints et avons partagé un moment que j'emporterai avec moi dans l'éternité. Ce moment était l'aboutissement du respect, de la confiance, de la gratitude, de la fraternité et de l'amour.
Les larmes coulent sur mes joues alors que j'écris ces lignes, plusieurs semaines après mon retour du Japon. Les mots écrits ne peuvent pas exprimer pleinement la transformation émotionnelle qui s'est produite sur les pentes d'Asahi-Dake. Les objectifs physiques qui n'avaient pas été atteints ont fondu avec la neige de l'hiver et ont nourri l'éclosion de nos fleurs spirituelles. Amour, respect, gratitude. Donnez et acceptez les fleurs.